Sur la table de la salle de réunion, les photos prises avec un téléobjectif montraient les silhouettes mécaniques figées : 90 droïdes B1, parfaitement alignés devant le convoi blindé d'Aurélien, immobile à l'entrée du domaine Takagi. Le soleil déclinait lentement, projetant des ombres nettes sur le bitume, comme si l'armée elle-même refusait de se mouvoir sans ordre direct.
Yuriko Takagi analysait les clichés à la lumière tamisée. Son regard était froid, lucide. Elle n'aimait pas les démonstrations de force gratuites. Mais ici, il n'y avait ni chaos, ni bravade. Juste une tension contenue, presque cérémonielle. Aurélien Yamamoto ne cherchait pas à impressionner. Il exposait un fait : il avait les moyens de son autonomie.
''Le convoi attend toujours. Aucun mouvement depuis les négociations de ce matin. Il tient parole.'' annonça un garde, la voix sobre.
Soichiro se détourna de la fenêtre. Sa voix, grave, tranchait l'air avec autorité : ''Très bien. Faites entrer les jeunes. ''
Quelques instants plus tard, les portes coulissèrent. Saya, Takashi, Rei et Kohta Hirano pénétrèrent dans la salle. Ils portaient encore la fatigue du voyage, mais aussi quelque chose d'autre — un mélange de respect, d'incertitude… et d'admiration mal dissimulée.
Ils s'étaient battus à ses côtés. Ils avaient vu Aurélien agir, commander, choisir qui devait vivre, et comment.
Yuriko, droite, mesurée, croisa les mains sur la table.
'' Vous l'avez côtoyé de près. Ce Yamamoto, nous devons décider comment le gérer. Soyez francs. »
Silence.
Puis, Saya se redressa, les bras croisés. Elle prit la parole la première, comme on s'y attendait.
'' Il est brillant. Trop, peut-être. Il voit des choses qu'on rate. Il lit les structures sociales, les faiblesses, les déviances… comme un ingénieur lit un plan de charge. Il n'a pas besoin d'autorité pour commander : les autres le suivent, parce qu'il donne des résultats. Il dit appartenir à une ancienne organisation vouée à la "progression technologique de l'humanité". Et je le crois. Ses gadgets, ses droïdes, ses drones… Ce ne sont pas des jouets, ce sont des outils de guerre.''
Soichiro plissa les yeux. Il connaissait bien sa fille. Il connaissait ce ton : elle respectait cet homme. Et ce respect-là, venant de Saya, n'était jamais accordé à la légère.
Takashi prit la suite, visiblement plus réservé :
''Il est froid, mais il protège. Il agit quand nous, on hésite. Il a sauvé des gens, même si parfois j'ai l'impression que c'est secondaire pour lui.''
'' Il est dangereux ?'' demanda Yuriko.
Takashi hésita, puis hocha lentement la tête.
'' Oui. Mais pas contre nous. Pas si on ne devient pas un obstacle.''
Kohta intervint, passionné, les yeux brillants :
''C'est un génie tactique. C'est grâce à lui qu'on a survécut aux premiers jours de l'apocalypse. Et surtout, il agit ! Il m'a traité comme un égal, comme un soldat. Pas comme un gamin. Pour moi, c'est un frère d'armes''
Les mots étaient sincères, et Soichiro hocha imperceptiblement la tête, notant l'impact psychologique qu'Aurélien avait déjà eu sur son entourage.
Puis Rei, en retrait, s'exprima doucement. ''Il était souvent à l'écart… sauf avec Saeko. Ils partageaient quelque chose… une compréhension, une violence commune. Ils entraient dans le combat comme on entre en transe. C'était presque… troublant.''
Un silence s'abattit dans la pièce. Yuriko se leva lentement, les mains jointes dans le dos, et s'avança jusqu'à la fenêtre. L'air du soir caressait les feuilles des érables. En elle, une réflexion se construisait.
'' Il ne cherche pas une place dans nos murs. Il cherche un échange. Une reconnaissance. Il n'est pas là pour qu'on l'accepte… mais pour que l'on constate qu'il est déjà un facteur du nouvel ordre. ''
Soichiro se leva également. Son regard était dur, fixé sur la carte stratégique posée au mur.
'' Il ne sera jamais un subordonné. Et nous ne pouvons le traiter comme tel. Il est en train de construire son propre réseau, sa propre organisation. Ce n'est pas un pion. C'est un joueur.''
''Et si ses choix nous entraînent dans une guerre que nous n'avons pas voulue ?'' demanda Saya, la voix tendue.
'' Alors nous aurons des réponses prêtes. Mais il vaut mieux négocier avec un loup intelligent… que d'attendre qu'il brise la porte.'' répondit son père
Yuriko hocha lentement la tête. Son regard revint vers la table.
''Qu'il entre. Pas comme un invité. Pas comme un rival non plus. Comme un égal. S'il pense que nous sommes faibles, il nous écrasera. Mais s'il voit notre force, il nous respectera. Et peut-être… nous écoutera. '' Soichiro donna les ordres. Une sentinelle quitta la salle sans un mot. Bientôt, Aurélien Yamamoto serait reçu à nouveau. Non plus comme un survivant brillant, ni comme un étudiant égaré dans la guerre.
Mais comme une force indépendante. Une puissance émergente. Et un acteur dans le jeu politique impitoyable du nouveau monde.