Il s’appelait Ethan Morel.
Trente-quatre ans, juriste senior, sourire d’avocat de série télé, regard d’aigle sous des cils trop soignés pour être innocents.
Il n’était pas notaire, pas encore. Mais il en avait déjà les manières : la voix calme, les cravates sobres, et cette capacité étrange à tout observer sans jamais poser une question directe.
C’est lui qui est venu vers moi.
Un lundi matin.
J’étais à la machine à café, concentrée sur un acte de donation déguisée* que Julien m’avait demandé d’éplucher.
— Vous avez le front plissé. C’est mauvais signe pour un lundi.
Il m’a tendu une tasse sans que je ne lui aie rien demandé.
Allongé, deux sucres. Je me suis permis.
J’ai pris la tasse, un peu surprise.
— Je ne me souviens pas vous avoir communiqué mes préférences, Maître Morel.
— Vous ne l’avez pas fait. Mais vous tapez du pied trois fois en lisant un acte, et vous soufflez par le nez quand le café est trop court. Et les deux fois où je vous ai vu en salle de réunion, vous avez glissé deux sachets de sucre dans votre sac. Alors… déduction.
Je l’ai regardé, cette fois vraiment.
Pas comme un collègue.
Comme un homme qui venait de me prouver qu’il voyait plus que ce que je voulais montrer.
— Vous observez tout le monde comme ça ?
— Seulement ceux qui s’appliquent à ne pas exister.
Touchée.
Mais il n’a pas insisté. Il a simplement pris place sur le fauteuil d’en face, à la salle de pause, et s’est mis à parler d’un dossier. Puis d’un client. Puis d’un article juridique dont il avait écrit la note.
Et je l’ai laissé faire.
Parce que c’était agréable d’être regardée autrement.
Sans tension. Sans sous-entendus.
Ou presque.
Les jours suivants, Ethan est devenu une présence discrète.
Toujours prêt à « m’aider sur une clause floue », à « revoir un acte pour être sûr », à « m’emmener déjeuner plutôt que de manger seule dans mon bureau ».
Et Julien a commencé à le remarquer.
Pas avec jalousie.
Mais avec une tension différente dans les mâchoires. Une crispation presque invisible. Une question silencieuse dans ses yeux : jusqu’où laisseras-tu cet autre homme t’approcher ?
Et moi…
Moi, j’ai continué à jouer.
Avec les deux.
Ce n’était pas une vengeance.
C’était un test.
Un moyen de savoir si Julien me voulait vraiment, ou s’il ne faisait que se perdre en moi comme on se perd dans une parenthèse.
Ethan, lui, n’a rien demandé.
Pas encore.
Mais dans son regard, il y avait déjà une promesse.
Et dans cette étude notariale d’apparence lisse, trois silences allaient bientôt s’entrechoquer.
Celui du notaire.
Celui de la stagiaire.
Et celui de l’homme qui savait.