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Chapter 2 - Chapitre 2 — L’enclenchement

Il y a un moment, dans chaque jeu interdit, où les règles s’effacent.

Non pas d’un coup, mais comme un fil qui se détisse.

Ce moment-là, pour Julien et moi, s’est glissé dans un banal rendez-vous professionnel.

Ou du moins, c’est ce que disait l’agenda.

Nous devions visiter un bien immobilier — un appartement situé avenue Kléber, destiné à faire l’objet d’une donation temporaire d’usufruit*.

Je connaissais la procédure. Lui aussi.

Nous n’avions besoin ni l’un ni l’autre d’être deux sur place.

Mais il avait insisté.

— Vous m’accompagnerez. On dit que vous avez l’œil juste pour les détails structurels.

Mensonge élégant.

Invitation masquée.

Et j’ai dit oui.

Le chauffeur nous attendait devant l’étude.

Julien m’a ouvert la portière. Son geste était presque neutre. Presque.

Dans la voiture, nos genoux se frôlaient par accident.

Une fois. Deux fois.

Puis il a légèrement tourné son buste vers moi.

— Le client est un ancien chirurgien. Il a 78 ans, pas d’héritier direct. Ce bien pourrait glisser dans les mauvaises mains si l’acte n’est pas solidement rédigé.

— Vous vous méfiez de tout le monde ?

Il m’a regardée. Droit. Lentement.

Ses yeux étaient plus bruns que je ne l’imaginais. Presque fauves.

Il a souri, sans chaleur.

— Non. Seulement de ceux qui me ressemblent.

Je n’ai pas répondu.

Je n’en avais pas besoin.

Il venait de m’avouer, à sa façon, que nous étions déjà trop proches.

L’appartement était vide. Les murs portaient encore l’odeur de l’ancien.

Il a inspecté les lieux avec une rigueur presque affectée. Moi, je regardais surtout ses mains.

Dans le salon, il s’est arrêté devant une baie vitrée.

Je l’ai rejoint, à peine derrière lui.

— Vous êtes toujours aussi sérieux dans ce que vous faites, Maître ?

— Toujours.

— Et dans ce que vous désirez ?

Il s’est tourné, très lentement.

Ses yeux ont plongé dans les miens, puis ont glissé vers ma bouche.

Et là, le monde s’est arrêté.

Il a levé la main — hésité une seconde — puis a frôlé ma joue du bout des doigts.

Ce n’était pas une caresse.

C’était une déclaration silencieuse.

Je n’ai pas bougé.

Ni protesté.

Mon souffle s’est fait plus court. Ma nuque s’est raidie. Mes jambes aussi.

— Vous ne savez pas ce que vous faites, Lyna.

— Au contraire. Je crois que je n’ai jamais été aussi lucide.

Il aurait pu m’embrasser.

Il aurait dû.

Mais il a reculé.

— Reprenons. Il est temps de rédiger le projet d’acte.

Et comme si rien ne s’était passé, il a sorti son téléphone, appelé son assistante, et dicté des termes juridiques à voix basse.

Mais ses doigts, eux, tremblaient légèrement.

C’était la première faille.

Et elle venait de s’ouvrir sous nos pieds.

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