Je m'appelle Lyna Bérard.
Et ce que j'ai déclenché ce jour-là n'est pas un simple scandale, ni une banale liaison.
C'est un préjudice passionnel, un acte sans retour, un fait divers sans cadavre mais avec des cendres.
Il avait 45 ans, une réputation d'acier trempé, une étude notariale dans le VIIIe arrondissement et une épouse que l'on surnommait la Reine.
Moi, j'avais 24 ans, un master en droit privé, un stage de fin d'études, et une conscience très floue des limites de la bienséance.
Notre rencontre s'est jouée sur un détail : un regard.
Mais c'est souvent ainsi que commence l'irréparable.
Je suis arrivée dans l'étude Cassard & Associés un lundi d'octobre, vêtue comme il se doit : tailleur noir ajusté, escarpins vernis, cheveux retenus dans une nuque sage.
Je n'avais rien laissé au hasard.
Ni le fait de porter des lunettes ce jour-là — pour inspirer un sérieux calculé — ni le choix de mon parfum, légèrement épicé, assez discret pour passer professionnel, assez chaud pour laisser une trace.
Il était dans son bureau, penché sur un dossier de liquidation* successorale, lorsque l'on m'a présentée.
Il n'a levé les yeux qu'après un silence pesé, comme s'il goûtait déjà l'inconvenance de notre futur.
— Mademoiselle… ?
— Lyna Bérard. Recommandée par Maître Ravel, Université Panthéon-Assas.
Ses yeux ont glissé sur moi avec la rigueur d'un commissaire aux comptes.
Mais dans le fond, il y avait autre chose.
Une interrogation.
Ou un soupçon d'intérêt mal placé.
— Intéressant profil. Vous avez choisi le notariat pour quelles raisons ?
J'ai souri.
Pas comme une étudiante docile.
Plutôt comme une joueuse qui sent que la partie peut commencer plus tôt que prévu.
— Pour la puissance tranquille que confère le pouvoir de légaliser les choix des autres.
Il m'a fixée. Longtemps.
Un silence — encore.
Mais cette fois, chargé de ce quelque chose que je reconnais désormais sans faille : le trouble.
Les premiers jours ont été cliniques.
Travail de fond sur des actes de donation-partage*, lecture de testaments, quelques vérifications au greffe.
Mais toujours ce sentiment qu'il m'observait derrière ses verres anti-reflets.
J'aimais son allure : rigide mais impeccable, son éloquence feutrée, cette façon qu'il avait de poser sa montre sur la table comme un métronome du contrôle.
Il ne portait pas son alliance tous les jours.
Un détail. Mais dans une étude notariale, les détails sont des preuves.
Un jeudi, il m'a demandé d'entrer dans son bureau pour discuter d'une clause d'inaliénabilité* sur un contrat de transmission anticipée.
La porte s'est refermée derrière moi.
Ce simple geste m'a coupée du monde, et plongée dans un autre : le sien.
— Vous êtes rapide, rigoureuse, précise. Trop, peut-être, pour rester une simple stagiaire.
— Et vous, vous êtes intransigeant. C'est stimulant.
J'ai posé cette phrase comme un jet de dés.
Sans trembler.
Il a souri. Un rien.
Mais ce rien a suffi à transformer la température de la pièce.
Ce jour-là, il ne s'est rien passé.
Pas encore.
Mais je suis ressortie de ce bureau comme on ressort d'une chambre après avoir rêvé d'un crime sans l'avoir commis : haletante, coupable… et prête à recommencer.